L’utilité sociale des entreprises, la clé du leadership du monde post coronavirus

Plus que jamais les entreprises ont compris qu’elles avaient un rôle social à jouer

La crise liée à la pandémie de coronavirus est un extraordinaire accélérateur du changement de paradigme des entreprises. L’énergie et les moyens qu’elles sont en train d’engager pour se rendre utiles et pertinentes préfigure d’un capitalisme dans lequel l’utilité sociale sera un attribut essentiel de leur leadership et de leur compétitivité.

L’intérêt général se construit à plusieurs

La dramatique pandémie du Covid-19 nous rappelle aux fondamentaux de la vie en société. Elle sonne le grand retour de la préoccupation collective et du civisme. Cette crise nous montre, au travers du confinement et de l’application des gestes barrières, que la somme des comportements responsables appliqués individuellement sont la condition de la sauvegarde du collectif. Cette crise rappelle aussi, avec cruauté, l’importance du bon fonctionnement des services publics pour la stabilité des nations. Cela (r)ouvre d’ailleurs, à juste titre, le débat sur le rôle des pouvoirs publics et du retour de l’Etat providence. Mais cette crise souligne aussi que dans un monde ouvert, interdépendant et ultra-complexe comme le nôtre, assurer l’intérêt général est une œuvre collective. Le bien commun est désormais à la confluence de l’action des pouvoirs publics, des entreprises et plus largement de la société civile. Chacun a un rôle politique, citoyen à jouer – y compris les entreprises. Et c’est bien là que se joue une véritable révolution.

Un engagement hors normes

Face à cette situation inédite, tant par son origine sanitaire que par les conséquences économiques et sociales en chaîne qu’elle préfigure, le premier réflexe de communication de crise – naturel et attendu – a consisté à faire la démonstration de l’engagement des entreprises et de leurs dirigeants à assurer la sécurité de leurs collaborateurs et la continuité (même minimum) du service pour leur clients. Au-delà du discours, cette pandémie provoque un sursaut et une implication hors normes des entreprises. Cet engagement se traduit par des actions de philanthropie et des gestes de générosité, souvent présentés comme une forme « d’effort de guerre ». Pour les uns ce sont des dons aux institutions sanitaires et scientifiques, pour d’autres comme Total, ce sont des contributions en nature. Mais c’est surtout la réorganisation dans l’urgence des moyens de production, des offres, des services ou des infrastructures des entreprises elles-mêmes qui impressionne. Certaines détournent leurs chaînes de production pour fabriquer du matériel sanitaire, comme L’Oréal, ou s’engagent dans la fabrication de matériel médical, comme PSA ou d’autres constructeurs d’automobiles. D’autres, comme Accor, convertissent leurs infrastructures pour les mettre au service de populations en difficulté. Les entreprises souhaitent montrer que, plus que jamais, elles sont au cœur de l’organisation sociale. L’exemple le plus emblématique étant celui de l’industrie du luxe, souvent considérée comme l’enfant prodige, futile et arrogant de l’économie française. La réactivité, pour ne pas dire la spontanéité avec laquelle le groupe LVMH s’est mobilisé pour produire des gels hydro-alcooliques est un symbole de ce nouveau leadership. Et cela a fait le tour de la planète. D’une certaine manière, les grandes entreprises s’organisent pour mettre en place une véritable « économie de guerre ».

La raison d’être des entreprises mise à l’épreuve

Il est vrai que depuis deux ans, le microcosme économique français ne jure que par la raison d’être des entreprises. Notre dramatique réalité nous rattrape avec ironie en mettant ce concept à l’épreuve. C’est maintenant que l’on prend pleinement conscience que la raison d’être n’est pas simplement l’affaire d’une formulation « catchy » ou un pur artifice marketing. C’est une raison d’agir, une boussole stratégique qui guide l’action et assure la mobilisation des parties prenantes autour de l’entreprise.
On voit bien, dans ces circonstances, que ce qui compte, c’est le sens. Les entreprises qui s’engagent de la manière la plus juste n’ont pas besoin de rappeler leur raison d’être, ni même de dire qu’elles le font en son nom. Elles le font parce que c’est évident, parce c’est ce qui fait sens pour le bien commun et pour l’ensemble de leurs parties prenantes, en plein accord avec l’identité et les valeurs de l’entreprise. Quand Decathlon se mobilise pour transformer son masque de plongée en masque de protection, c’est une évidence qui réunit tout le monde, non seulement parce que c’est utile mais aussi parce que c’est totalement conforme à l’esprit de la marque. En résumé, les entreprises qui sont les plus justes dans cette crise sont celles qui ont fondamentalement intégré, dans leur mode de pensée et d’action, qu’elles devaient avoir une utilité sociale qui transcende la nécessité de créer de la richesse. Cette utilité sociale devient le signe de leur leadership.

L’entreprise citoyenne, l’entreprise post RSE

Cette tendance était évidemment latente. Elle est désormais évidente. De par le passé, quel aurait été le réflexe de ces entreprises et des marques ? Quel aurait été leur priorité ? Elles auraient sans nul doute bombé le torse, affichant ainsi leur invincibilité face à la crise économique et financière qui se profile et elles auraient voulu montrer qu’elles affrontaient la crise mieux que leurs concurrents.
L’arrogance n’est désormais plus de mise. Sans nier que cette crise va être lourde et qu’il faudra en gérer les conséquences, nombre de grandes entreprises cherchent d’abord à prouver qu’elles sont là pour servir leurs communautés et plus largement les citoyens. Elles sont dans l’action. Elles veulent être dans le moment, dans l’événement, dans leur époque. Elles cherchent à avoir le comportement juste, celui qui fait sens. C’est ce qui motive les unes à renoncer, certainement avec regret, au versement de dividendes, ou d’autres à ne pas solliciter les aides proposées par les pouvoirs publics. C’est ce qui conduit même certaines à coopérer avec leurs concurrents – comme l’a formidablement montré l’exemple du groupement Mousquetaires qui a avancé 500 000 masques aux entrepôts Leclerc. Ces décisions sont certainement prises avec une certaine idée de l’élégance. Il y a surtout un instinct plus prosaïque de l’acceptabilité sociale de leur comportement à l’heure de la défiance généralisée.
Une chose est sûre, elles ne cherchent plus uniquement à compenser leurs externalités négatives, elles souhaitent contribuer positivement, et de manière proactive, à l’intérêt général. Elles entrent de plain-pied dans une ère « post RSE ». Et il s’agit de le faire savoir. Pour ces entreprises, la communication est centrale car il faut maintenir ou renforcer l’engagement de leurs parties prenantes. Que deviendraient-elles si elles perdaient, en pleine crise, la mobilisation de leurs collaborateurs, la confiance de leurs investisseurs, le soutien de l’opinion publique ou encore la fidélité de leurs clients. L’engagement de leurs parties prenantes, c’est fondamental, c’est même leur obsession. Si, dans ce nouveau monde qui se construit, l’utilité sociale de l’entreprise est le signe de leur leadership, le soutien de leurs parties prenantes est la condition de leur compétitivité. Se comporter en entreprise citoyenne, c’est en effet s’assurer d’avoir des collaborateurs mobilisés, fiers, prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est entretenir un lien émotionnel avec ses clients et ses consommateurs, c’est avoir la confiance des investisseurs, c’est tenter de garantir la bienveillance de l’opinion publique et des pouvoirs publics… C’est une forme de retour sur investissement attendu par les entreprises qui transforment leurs comportements et les enrichissent d’un altruisme bienvenu.
Mais attention aux effets de manche. Plus que jamais, c’est l’action qui compte, c’est le comportement qui doit être exemplaire, pas simplement la communication de marque. La communication peut orienter l’action pour qu’elle soit juste, mais c’est la justesse de l’action qui donnera à la communication tout son impact.

Article publié sur HBR France, le 26 mai 2020 par Nicolas Narcisse.